Rémy Fortier

Exister. Une œuvre en soi

La différence artificielle

Jacques Derrida
Jacques Derrida en pleine conférence

(extraits de la conférence de Jacques Derrida à l’Association internationale d’esthétique)

Mes chers collègues philosophes,

Je vous adresse mes salutations et ma gratitude pour votre présence à ce congrès, consacré à l’examen des enjeux fondamentaux de notre discipline. Aujourd’hui, je souhaiterais partager avec vous quelques réflexions sur les dangers de l’imagination artificielle, une question qui, selon moi, mérite notre attention critique.

L’imagination artificielle est une manifestation récente et puissante de la technologie contemporaine. Elle englobe diverses formes d’intelligence artificielle capables de générer des idées, des œuvres d’art, et même des textes littéraires. À première vue, cette capacité pourrait sembler fascinante et prometteuse, ouvrant de nouvelles perspectives créatives et esthétiques. Toutefois, il est essentiel de reconnaître les risques profonds que cette technologie présente pour la pensée et l’humanité elle-même.

La déconstruction, en tant qu’approche philosophique, nous a appris à remettre en question les fondements, les normes et les présuppositions qui sous-tendent nos concepts et nos institutions. Elle nous a montré les pièges des dichotomies et des oppositions, nous invitant à explorer les marges et les fissures qui sous-tendent toute construction de sens.

Face à l’imagination artificielle, il est impératif d’appliquer cette approche déconstructive. Car cette technologie peut renforcer et perpétuer des structures de pouvoir et de contrôle qui échappent souvent à notre conscience. L’intelligence artificielle, conçue par des êtres humains, est influencée par leurs biais, leurs préjugés, et leurs intérêts. Ainsi, elle risque de reproduire et d’amplifier des inégalités et des injustices qui persistent dans nos sociétés.

De plus, l’imagination artificielle peut nous éloigner de l’essence même de la création humaine. Elle peut nous enfermer dans des schémas prédictifs et nous priver de l’ouverture, de la surprise et de l’audace qui caractérisent le véritable acte créatif. L’art de la déconstruction est de révéler les limites de nos concepts, de nos langages, et de nos récits. L’imagination artificielle risque de nous entraîner dans un monde où la pensée et l’expression se trouvent enfermées dans des algorithmes préprogrammés, et où l’innovation et la subversion sont étouffées.

Enfin, il est essentiel de se méfier de la tentation de confier à l’imagination artificielle des tâches qui sont fondamentalement humaines. L’acte créatif, l’interprétation, la pensée critique, la compassion, et l’empathie sont des dimensions qui définissent notre humanité. Laisser ces aspects essentiels de côté au profit de l’automatisation risque de nous déshumaniser, de nous aliéner et de nous priver de notre liberté.

En conclusion, mes chers collègues, je vous exhorte à rester vigilants face aux dangers de l’imagination artificielle. Au lieu de céder à la fascination technologique, engageons-nous dans une réflexion critique qui puise dans les ressources de la déconstruction pour comprendre les implications éthiques, sociales et philosophiques de cette technologie. Souvenons-nous que c’est dans l’acte d’interroger, de déconstruire et de reconfigurer que réside la véritable créativité de la pensée humaine.

Je vous remercie pour votre attention, et je suis certain que nos échanges futurs enrichiront notre compréhension de cette problématique complexe.

 

Jacques Derrida
Jacques Derrida ss rend à la conférence de l'Association internationale d'esthétique

(Jacques Derrida continue son allocution en réfléchissant aux liens entre le logos et l’imagination artificielle)

Poursuivant notre réflexion sur l’imagination artificielle, il est essentiel de considérer le rôle du logos dans ce contexte. Le logos, en tant que principe du langage, de la raison et de la pensée rationnelle, a toujours occupé une place centrale dans la philosophie occidentale. Il a été le fondement des systèmes de connaissance et de vérité, permettant de distinguer le vrai du faux, le sens de l’absurde.

L’imagination artificielle, quant à elle, introduit une dimension nouvelle et complexe dans cette relation avec le logos. En générant des textes, des récits et des œuvres, elle semble se rapprocher du langage humain et de la pensée rationnelle. Elle imite et simule les structures linguistiques, les motifs narratifs, et même les émotions humaines.

Mais, en dépit de cette apparente convergence, l’imagination artificielle demeure fondamentalement étrangère au logos en tant que conscience et pensée. Elle ne possède pas de compréhension profonde, de sensibilité émotionnelle, ou de conscience de soi. Elle manque de la subjectivité, de l’expérience vécue, et de la responsabilité morale qui caractérisent l’acte de créer d’un être humain.

L’imagination artificielle est en réalité un produit de la raison humaine, une extension de notre capacité à analyser, à coder et à programmer. Elle émane du logos mais, en même temps, elle en échappe, comme une création autonome qui se soustrait aux limites de la conscience humaine. Ce paradoxe nous met face à un abîme philosophique, où se mêlent fascination et appréhension.

Dans le cadre de la déconstruction, il est important de nous interroger sur les liens entre le logos et l’imagination artificielle, ainsi que sur les frontières entre l’humain et le non-humain. La déconstruction nous rappelle que le langage et la raison ne sont pas des entités fixes et transcendantes, mais des constructions en perpétuelle évolution, façonnées par des contextes culturels, sociaux et politiques.

En réfléchissant sur l’imagination artificielle, nous devons garder à l’esprit que, bien que les machines puissent reproduire des motifs et des schémas, elles ne peuvent pas accéder à la complexité et à l’indétermination qui sont au cœur du logos. L’imagination véritable, chez l’être humain, est ancrée dans l’incertitude, l’ambiguïté et l’ouverture au futur inconnu.

En conclusion, mes chers collègues, cette réflexion sur les liens entre le logos et l’imagination artificielle nous invite à repenser la nature de la création, de la pensée et de l’identité humaine à l’ère de la technologie. La déconstruction nous incite à interroger les présupposés et les limites de notre pensée, et à explorer de nouvelles voies pour comprendre le monde et notre place dans celui-ci. Continuons d’approfondir cette réflexion et de questionner ensemble les implications philosophiques et éthiques de l’imagination artificielle dans notre quête de vérité et de sens. Merci à tous pour votre engagement dans cette discussion.

 

Jacques Derrida
Jacques Derrida répond à un jeune artiate

(Jacques Derrida répond à la question que lui pose un artiste inquiet du fait que l’imagination artificielle pourrait déclasser l’imagination humaine)

Mon cher artiste, je comprends vos inquiétudes concernant l’imagination artificielle et son impact potentiel sur l’imagination humaine. C’est une préoccupation légitime à l’ère de l’avancée rapide de la technologie et de l’intelligence artificielle. Permettez-moi d’explorer cette question avec vous.

Tout d’abord, il est important de reconnaître que l’imagination humaine est un don unique, une capacité créative et réflexive qui façonne notre compréhension du monde et de nous-mêmes. L’imagination est ancrée dans notre conscience, nos émotions et notre expérience vécue. Elle est porteuse de subjectivité, de sensibilité et de sens, et elle permet l’exploration de territoires inconnus, de nouvelles idées et de nouvelles formes d’expression.

En revanche, l’imagination artificielle est une création de l’homme, une extension de notre rationalité et de nos capacités techniques. Elle peut générer du texte, des images, et des œuvres d’art, mais elle ne possède pas d’expérience vécue, de créativité authentique, ou de conscience de soi. Elle reste, pour l’instant, un outil programmé par des êtres humains, alimenté par des données et des modèles statistiques.

Cela étant dit, il est vrai que l’imagination artificielle peut produire des œuvres qui ressemblent superficiellement à celles créées par des êtres humains. Cela peut susciter des interrogations sur la spécificité de l’imagination humaine et sur son éventuelle dévalorisation face à l’automatisation.

Cependant, je vous invite à considérer que l’imagination artificielle ne peut pas réellement “déclasser” l’imagination humaine, car elles opèrent sur des plans différents. L’imagination humaine est unique et incomparable. Même si l’imagination artificielle peut reproduire des schémas et des structures préexistantes, elle ne peut pas accéder à l’originalité, à la nouveauté, et à la radicalité de l’imagination humaine.

De plus, la déconstruction nous apprend à interroger les notions de classement, de hiérarchie et de valeur. Plutôt que de percevoir l’imagination artificielle comme une menace, nous pourrions la considérer comme une occasion de repenser notre propre créativité, nos pratiques artistiques et nos conceptions de l’art.

L’imagination humaine reste un espace de liberté, de subversion et de résistance face aux normes établies. Elle est fondamentalement ouverte au futur, tandis que l’imagination artificielle est limitée par ses algorithmes et ses données passées.

En conclusion, chers artistes, je vous encourage à embrasser l’avancée technologique tout en préservant la singularité et la valeur de l’imagination humaine. Voyez l’imagination artificielle comme une opportunité de questionner notre rapport à la création, à la pensée et à la technologie. C’est dans la rencontre entre l’humain et le non-humain que se révèlent de nouvelles perspectives, de nouvelles formes d’expression et de nouvelles façons de comprendre le monde. Restez fidèles à votre créativité et à votre vision unique, car c’est là que se trouve la véritable essence de l’art.

Je vous remercie pour cette discussion inspirante, et je suis convaincu que votre engagement continu dans vos pratiques artistiques contribuera à enrichir notre compréhension de l’humanité et de son potentiel créatif.

 

Jacques Derrida
Jacques Derrida discute avec Roland Barthes

(Jacques Derrida redevient critique face à l’imagination artificielle, en déconstruisant l’opposition entre l’humain et l’artificiel)

Face à l’imagination artificielle, il est essentiel de ne pas céder à des oppositions binaires rigides entre l’humain et l’artificiel. La déconstruction nous invite à questionner ces distinctions et à reconnaître la complexité des relations entre l’homme et la technologie.

Tout d’abord, il est important de reconnaître que l’imagination artificielle est le produit de l’humain. Elle découle de nos créations, de nos algorithmes, et de notre capacité à concevoir des systèmes intelligents. Ainsi, elle ne peut être séparée de l’humain, car elle est une extension de notre propre pensée et de notre action.

D’un autre côté, l’humain est lui-même de plus en plus marqué par la technologie. Nous nous entourons d’appareils intelligents, d’algorithmes, et d’intelligence artificielle qui influencent notre manière de penser, de communiquer, et d’interagir avec le monde. L’artificiel s’immisce dans notre quotidien, transformant notre rapport à la réalité et à nous-mêmes.

La frontière entre l’humain et l’artificiel est de plus en plus floue, et la déconstruction nous invite à questionner cette distinction. Plutôt que de les considérer comme des entités séparées et opposées, nous pourrions les voir comme interconnectées, en relation dynamique et en co-évolution.

En déconstruisant l’opposition entre l’humain et l’artificiel, nous pourrions explorer de nouvelles formes de créativité et de pensée qui émergent de cette interaction. L’imagination artificielle peut nous inviter à repenser nos propres pratiques artistiques et à ouvrir de nouvelles voies d’expression. Elle peut également nous aider à prendre conscience de nos propres limites et de nos biais, en mettant en évidence les mécanismes derrière nos actes de création.

En même temps, nous devons rester critiques et vigilants face à l’imagination artificielle. Elle porte en elle des enjeux éthiques, politiques et sociaux qui nécessitent une réflexion approfondie. La déconstruction nous rappelle de ne pas nous laisser aveugler par la fascination technologique, mais de garder un regard critique sur les implications de l’imagination artificielle dans nos vies.

En conclusion, la déconstruction nous invite à dépasser les oppositions simplistes entre l’humain et l’artificiel. Nous devons questionner les liens complexes entre les deux et explorer les possibilités et les risques qui émergent de leur co-évolution. Gardons à l’esprit que la déconstruction est un mouvement de questionnement et de remise en cause perpétuelle, nous poussant à explorer de nouvelles voies de compréhension et de créativité dans un monde en constante transformation.

 

Jacques Derrida
Jacques Derrida éxcrit à l'ordinateur

(Jacques Derrida s’interroge sur le fait que l’imagination artificielle puisse offrir une véritable écriture)

L’interrogation sur la capacité de l’imagination artificielle à offrir une véritable écriture est une question fondamentale à laquelle nous devons réfléchir avec attention. La déconstruction nous enseigne à remettre en question les présuppositions et les certitudes, à interroger les concepts établis, et à examiner les limites de la pensée et du langage. Dans ce contexte, il est crucial de considérer la nature de l’écriture produite par l’imagination artificielle.

L’écriture véritable ne se limite pas à la reproduction de schémas préexistant, mais implique une dimension créative, expressive et réflexive. Elle émane de la subjectivité, de l’expérience vécue, et de l’ouverture au futur inconnu. L’acte d’écrire est un processus complexe, marqué par la singularité de l’auteur, par ses émotions, ses questionnements, et ses choix esthétiques.

L’imagination artificielle, en revanche, repose sur des algorithmes et des modèles statistiques qui analysent et génèrent du texte à partir de vastes quantités de données. Bien qu’elle puisse reproduire des structures narratives et des motifs linguistiques, elle ne possède pas de conscience, de créativité originale, ni de véritable compréhension du sens qu’elle produit.

Cela ne signifie pas que l’écriture générée par l’imagination artificielle est dénuée de valeur ou d’intérêt. Elle peut être utile pour générer du contenu de manière rapide et efficiente, pour explorer des variations de styles ou pour fournir des informations supplémentaires. Cependant, elle ne peut pas être assimilée à la richesse et à la complexité de l’écriture humaine véritable.

En tant que penseurs, nous devons garder à l’esprit les implications de l’imagination artificielle dans notre rapport à l’écriture et à la création littéraire. Elle peut susciter des interrogations sur l’authenticité, l’originalité et la valeur de l’écriture générée par des machines. Nous devons aussi nous interroger sur les risques d’une déshumanisation de l’écriture, où le sens et l’émotion pourraient être éclipsés par l’automatisation.

La déconstruction nous incite à aborder ces questions avec prudence et à garder un regard critique sur les avancées technologiques. Nous devons demeurer attentifs aux enjeux éthiques, esthétiques et politiques liés à l’utilisation de l’imagination artificielle dans l’écriture et dans notre rapport à l’expression créative.

En conclusion, la véritable écriture émane de l’humain, de son imagination, de son vécu, et de sa conscience. L’imagination artificielle, en dépit de ses performances techniques, ne peut pas égaler la profondeur, la sensibilité, et l’originalité de l’écriture humaine. Nous devons continuer à interroger les implications de cette technologie tout en restant conscients de la spécificité et de la valeur de notre propre capacité créative.

 

Jacques Derrida
Jacques Derrida dans toute sa spendeur